Les obligations de fonction des notaires dans la protection de la partie contractante la plus vulnérable

Marteau de juge en bois avec bloc sonore rond et deux livres sur une surface en bois
Notaires_pixabay

Richard Bock est conseiller judiciaire, notaire honoraire, et le représentant général de la Chambre fédérale des notaires allemands pour les affaires internationales. La Chambre fédérale des notaires allemands est un partenaire de coopération étroite de l'IRZ.

Depuis quelque temps, le rôle du notaire dans la protection de la partie contractante la plus faible est devenu un sujet de prédilection des réunions et événements de l’Union Internationale du Notariat (UINL).

La plupart des règlements des notaires des pays membres de l’UINL contiennent une disposition obligeant les notaires à protéger les parties inexpérimentées ou incompétentes contre d’éventuels préjudices. Il s’agit, pour ainsi dire, d’une disposition générale. Elle comprend l’obligation de protéger des personnes handicapées, des mineurs mais également des personnes qui, en raison de leur manque d’expérience ou d’autres conditions, ne sont pas capables de saisir le contenu de l’acte judiciaire à conclure et les conséquences économiques et juridiques qui en découlent.

 Dans ce qui suit, nous allons présenter, dans un premier temps, un aperçu sur les obligations de fonction d’un notaire allemand (obligation professionnelle liée à la qualité d’officier public) lorsqu’une des parties contractantes est une personne handicapée. Par la suite, nous allons aborder d’autres aspects relatifs à ce vaste sujet qu’est l’obligation de fonction. En l’occurrence, il s’agit des obligations d’ordre général visant la protection de la partie contractante la plus faible et, dans ce contexte, de la prise en compte des règles relatives à la protection des consommateurs.

Participation des personnes handicapées

Les dispositions les plus faciles, car bien définies par la loi, que le notaire est amené à respecter concernent la participation des personnes ayant un handicap physique, autrement dit des personnes dans l’incapacité de voir, d’entendre, de parler ou d’écrire. A ce sujet, il est à noter que les règles concernant la présence de témoins, d’un autre notaire, etc. peuvent varier d’un pays à l’autre. En Allemagne, ces besoins supplémentaires relèvent du droit supplétif, autrement dit l’intéressé peut y renoncer.

Participation des personnes sous tutelle et des personnes dont la capacité d’exercice peut être mise en cause

L’affaire devient plus compliquée dès lors que le notaire a de bonnes raisons de douter de la capacité d'exercice (Geschäftsfähigkeit) d’une des parties. Dans ce cas, le notaire dispose de plusieurs options. Il est libre d’ajourner la date de la signature et de demander un certificat médical de la partie concernée portant la date de l’authentification. Selon la jurisprudence de la Cour fédérale de justice (Bundesgerichtshof), le certificat médical, pour être valable, ne peut pas être fourni par un médecin quelconque. Il doit être établi par un neurologue. Une fois le certificat présenté, le notaire peut procéder à l’authentification.

Si toutefois le médecin ne peut déterminer la capacité d'exercice de manière définitive, le notaire se voit confronté à un problème. Le droit allemand ne connait pas la détermination d’office de l’incapacité d'exercice. Si une personne n’est plus capable de gérer ses affaires juridiques, l’intéressé ou des membres de sa famille peuvent s'adresser au tribunal pour demander la nomination d’un tuteur (Betreuer). La fonction de tuteur est une charge publique soumise à la surveillance du tribunal. Le tuteur représente l’intéressé de la même manière que les parents représentent leurs enfants. Il signe le document à la place de l’intéressé, sans que la signature prenne immédiatement effet. Dans tous les cas, une autorisation du tribunal est nécessaire. Si, par exemple, un tuteur vend un bien immobilier appartenant à la personne assistée, le contrat ne prendra effet qu’après que le tribunal ait autorisé la vente. L’autorisation n’est accordée que lorsque le tribunal se voit présenter un rapport d’expertise immobilière établi par un expert indépendant dont il ressort que le prix d’achat est raisonnable.

Ces procédures d’autorisation sont longues et coûteuses. Pour cette raison, la Chambre fédérale des notaires a commencé, il y a 20 ans, à proposer dans pareil cas l’établissement de pouvoirs spécifiques : le mandat de protection future (Vorsorgevollmacht). Le mandat de protection future est une procuration faite à l’avance, le plus souvent par un notaire, par laquelle une ou plusieurs personnes de confiance sont autorisées par le mandataire à le représenter en cas de doute sur sa capacité d’exercice.

Les notaires allemands établissent de nombreux mandats de ce type. Ils sont enregistrés dans un registre électronique spécial auprès de la Chambre fédérale des notaires (Bundesnotarkammer). Ce registre est accessible aux notaires et à tous les tribunaux, ce qui permet de vérifier, le cas échéant, l’existence d’un mandat de protection future. A ce jour, plus de trois millions de mandats de protection future ont été inscrits dans ce registre. Dans un notariat allemand, on procède en général à l’authentification d’un ou deux mandats de protection future par semaine.

Les obligations générales de fonction pour la protection de la partie contractante la plus vulnérable

L’authentification des mandats de protection future ne constitue heureusement qu’une partie marginale des activités des notaires. Les compétences assez larges des notaires allemands se concentrent sur le droit immobilier, le droit des sociétés, le droit de succession et le droit de la famille. La loi allemande sur les authentifications (Beurkundungsgesetz) oblige les notaires à veiller à ce que des personnes inexpérimentées ou incompétentes ne soient pas défavorisées. C’est tout ce que dit la loi. Toutefois, cette disposition définit une obligation principale des notaires dont le non-respect constitue une violation des obligations de fonction menant à des demandes de dommages-intérêts contre le notaire. Sur ce point, une jurisprudence abondante a été établie au fil des années.

En voici deux exemples :

Selon le code civil allemand, les époux peuvent conclure – avant ou pendant leur mariage – un contrat de mariage qui définit les conséquences juridiques en cas de divorce. Ce contrat règle en général les demandes de compensation relatives à une asymétrie de bien, l’obligation d’entretien après le mariage et le partage des droits à la retraite du régime général. La loi n’interdit pas complètement d'exclure de telles droits en cas de divorce.

Toutefois, la Cour fédérale de justice a statué que l'exclusion de telles droits est nulle et non-avenue lorsque celle-ci constitue un préjudice inapproprié pour la partie la plus faible – généralement l’épouse. Ainsi, un tel contrat de mariage serait partiellement ou dans sa totalité nul et non-avenu en cas de divorce si les époux avaient prévu que l’épouse n’exerce pas d'activité professionnelle mais s’occupe des enfants communs, et si celle-ci n’arrivait pas, par la suite, à exercer une activité professionnelle propre. Cela vaut notamment lorsque les conditions au moment de la conclusion du contrat laissent supposer que l’époux désavantagé a été soumis à une certaine pression.

Au cours des dernières années, l’Europe a connu une assez forte vague d’immigration en provenance du Proche-Orient et de l’Afrique. Il y a eu des mariages entre ces migrants et des ressortissants allemands probablement motivés par le droit de rester (Bleiberecht) lié au mariage. Les contrats de mariage qui prévoient, en cas de divorce, des restrictions pour l’époux étranger peuvent être nul et non-avenu étant donné que celles-ci ont été conclues en lien avec une menace d’expulsion. Cela vaut également dans le cas relativement fréquent où le contrat de mariage est conclu au moment où la future épouse est enceinte. Depuis l’arrêt de la Cour fédérale de justice de 2000, la question standard que chaque notaire adresse à la fiancée qui veut conclure un contrat de mariage est de savoir si elle est enceinte. Dans l’affirmative, le notaire la renvoie et attend le mariage avant de procéder à l’authentification.

Dans le droit immobilier, la situation du notaire est heureusement meilleure car bien réglée par la loi. Un principe fondamental est que le notaire n’est pas le conseiller économique des parties. Même s’il est d'avis, ou s’il sait que l’acheteur paie un prix trop élevé pour le bien immobilier, il n’a pas le droit de s'exprimer. Toutefois, la loi détermine également les limites de ce devoir de non-ingérence dans les négociations entre les contractants. Lorsque le notaire soupçonne que l’accord sur un prix de vente significativement trop élevé fait partie d’une affaire de blanchiment d’argent, il doit prendre les mesures prévues par la loi. Le notaire doit également intervenir lorsque l’accord sur un prix de vente trop bas sert manifestement à réduire les droits de transfert.

Le domaine d’application principal de la mesure destinée à protéger des personnes inexpérimentées d’éventuels préjudices est celui de l’achat de logements non encore construits. Il y a quelques années, le ministre de la Justice d’un Etat en voie de transformation m’a demandé de le conseiller dans l’élaboration d’une loi sur les notaires. Il m’a informé qu’un notaire avait authentifié un grand nombre de contrats de vente sur des logements encore à construire dans la capitale du pays. L’entrepreneur avait encaissé en espèces la totalité du prix de vente - en accordant une ristourne - en présence du notaire et avait disparu avec l’argent après avoir vendu le dernier logement. « A quoi bon d’avoir des notaires dans ce pays? » m’avait alors demandé le ministre. Le notaire a probablement violé son devoir d’informer étant donné qu’il s’agissait d’un paiement anticipé sans aucune garantie d’une des parties contractantes. Or, dans ce cas, le problème principal se situait à un autre niveau.

En effet, il n’existait pas de loi qui définissait à partir de quel niveau d’avancement des travaux un entrepreneur était en droit d’exiger un pourcentage à déterminer du prix de vente. Certes, le notaire est dans l’obligation de protéger la partie la plus faible contre les préjudices. Toutefois, et en l’absence de règles sur des paiements dus, il ne peut remplir son devoir qu’en informant et en avertissant les intéressés. Si l’acheteur accepte néanmoins de payer le prix de vente sans garantie, le notaire ne peut être tenu responsable des dommages causés.

La Cour fédérale de justice a concrétisé le devoir d’informer des notaires dans le cas des avances sans garantie. Le notaire n’est pas seulement obligé d’informer l’intéressé sur les risques, il doit également indiquer au moins deux autres possibilités qui réduisent le risque pour la partie contractante la plus vulnérable. Dans le cas présenté ci-dessus, la jurisprudence allemande aurait obligé le notaire à informer l’acheteur sur la possibilité de la mise en dépôt du prix de vente ou de la présentation par le vendeur d’une garantie bancaire.

La meilleure solution serait que le législateur prenne lui-même l’initiative et détermine les montants maximaux des versements que l’acheteur d’un bien immobilier encore à construire peut effectuer. En Allemagne, une telle loi existe depuis 1974. Aucun cas de gros dommages dans ce domaine n’est connu.

Protection des consommateurs

La protection des consommateurs est une préoccupation centrale des notaires allemands, voire de la justice allemande. Notre ministère fédéral s’appelle d’ailleurs « Ministère fédéral de la justice et de la protection des consommateurs ».

Dans des sociétés différenciées aux structures économiques complexes, aux marchés opaques et connaissant de grands écarts au niveau du pouvoir économique et de l’expérience, les éléments sur lesquels un citoyen lambda base ses décisions économiques deviennent de plus en plus opaques et complexes. Souvent, le citoyen prend ses décisions non pas sur une base rationnelle mais en fonction de ses envies, de la publicité et de la capacité d’autres acteurs du marché à convaincre et à persuader. Selon la vision de notre législateur, les notaires ont le devoir de fonder la décision des parties contractantes peu expérimentées sur une base aussi rationnelle que possible. Bien entendu, le notaire ne peut pas exhorter ni obliger les parties à se comporter rationnellement.

Celles-ci prennent leurs décisions sur la base du droit fondamental à l’autonomie privée. Or nous constatons que dans des sociétés et des marchés de plus en plus complexes, il existe un besoin de protéger les parties les plus vulnérables dans l’exercice de leur droit à l’autonomie privée. C’est pour cette raison que le législateur et la jurisprudence ont confié aux notaires des missions sociopolitiques. In fine, notre devoir de conception préventive du droit constitue un aspect partiel de la mission juridique qui incombe à notre métier, à savoir le maintien de la paix sociale.

Dans le cas des contrats dits de consommation - à savoir des contrats entre un entrepreneur et une personne privée - le notaire a l’obligation d’empêcher des contrats proposés par l’entrepreneur qui lui procureraient des avantages unilatéraux. Des contrats de ce type sont interdits et le code civil allemand contient des règles détaillées pour les prévenir. Par exemple, il n’est pas possible d’obliger l’acheteur d’un appartement dont la construction vient d’être terminée à verser l’ensemble du prix de vente, alors que des défauts ont été constatés au moment de la conclusion du contrat. Il n’est pas possible non plus que l’acheteur d’un bien immobilier neuf renonce à des droits de garantie, ou qu’un contrat réduise le délai de garantie de cinq ans prévu par la loi.

La loi sur les authentifications impose encore d’autres obligations aux notaires lorsqu’il s’agit de contrats de consommation. Les notaires ne peuvent authentifier de tels contrats que lorsque la partie la plus faible - le consommateur - a reçu le projet de contrat au moins quatorze jours avant la date de l’authentification. Le consommateur doit avoir la possibilité de vérifier le projet, de réfléchir de nouveau sur l’achat et de s’en retirer le cas échéant. La renonciation au délai de réflexion par le consommateur est nulle. Si le notaire réalise l’authentification avant ce délai et si l’acheteur peut prouver qu’il aurait renoncé à l’achat s’il avait eu un délai de quatorze jours, le notaire sera responsable des dommages. Un notaire responsable à plusieurs reprises du non-respect des délais peut être destitué de ses fonctions.

En 2004, les états-membres de l’UINL ont adopté un document intitulé « Déontologie et Règles d'Organisation du Notariat », une sorte de code de déontologie des notaires.

Selon l’article 5.5 et l’article 46 de ces statuts, « le notaire devra refuser .... les actes qui, même en respectant le fond de la loi, seraient contraires à son esprit, ou les actes manifestement préjudiciables aux parties ».

L’article 46 ajoute des détails à ce principe de base. Selon cet article, le notaire devra porter une attention particulière à la partie qui a besoin de plus d'information, en compensant les déséquilibres au niveau des connaissances et en donnant activement son conseil et son avis professionnels. Cette disposition correspond aux principes du droit de protection des consommateurs. Dans un environnement économique et social de plus en plus complexe, les notaires se voient dans l’obligation - obligation adaptée aux conditions sans cesse en évolution - de préserver l’équilibre d’information, la transparence et la prévention des dommages.