Par Dr. Rüdiger Morbach

À la pointe du monde digital: L’arbitrage international

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Dr. Rüdiger Morbach est avocat au cabinet King & Spalding à Francfort-sur-le-Main.

L’arbitrage, précurseur de la numérisation

En 2020, la pandémie de Covid-19 se propage rapidement dans le monde entier, oblige à réduire les contacts personnels au minimum et révèle en même temps un déficit de numérisation de la justice dans de nombreux États (comme l'Allemagne).

Ainsi, toutes les audiences en présentiel sont annulées, les tribunaux allemands essaient les vidéoconférences en mode d'urgence. Les quelques salles d'audience préparées à cet effet sont réservées pour des mois. De nombreux agents judiciaires ne peuvent pas travailler à domicile, parce que les dossiers continuent d'être tenus sur papier. Le retard dans la numérisation de la justice étatique se retourne contre elle et provoque des retards de procédure considérables.

En revanche, les tribunaux arbitraux s'adaptent facilement aux nouvelles conditions. Les dossiers papier n'existent plus dans les procédures d'arbitrage que sous forme de copies pour faciliter la lecture ou l'archivage. Depuis des années, la communication entre les parties et le tribunal arbitral se fait exclusivement par e-mail. Les conférences de procédure se tiennent par vidéo et les rencontres personnelles se limitent à des audiences en bloc pour l'obtention des preuves. Il ne serait pas possible de faire autrement, la logistique serait trop lourde dans les procédures transfrontalières, surtout si des arbitres de différents pays sont impliqués.

Pour réagir à la pandémie de Covid-19, les institutions arbitrales adoptent parfois des changements de règles à court terme pour faire face aux difficultés rencontrées par leurs employés et la plupart des cabinets d'avocats qui travaillent à domicile (comme la DIS, la plus grande institution allemande, qui renonce à se faire remettre un exemplaire papier de la demande d'arbitrage). Cet exemple montre clairement que l'arbitrage se démarque grâce à sa flexibilité. La marge de manœuvre dans l'organisation de la procédure permet l'utilisation de la technologie moderne et fait de l'arbitrage un "early adopter" pour toutes les innovations technologiques.

La technologie dans les procédures arbitrales

Cela commence dès le début de la procédure arbitrale. Les parties à la recherche d'un arbitre peuvent consulter différents outils en ligne pour savoir quel est l'arbitre le plus approprié pour leur procédure d'arbitrage, par exemple sur la base de la connaissance du secteur concerné, d'une langue ou d'un État, ou sur la base d'un track record qui permet d'évaluer l'expérience de l'arbitre.

Il se poursuit avec des outils d'organisation de la procédure. Ceux-ci peuvent être des technologies quotidiennes, comme des groupes WhatsApp et des outils de vidéoconférence, par lesquels le tribunal arbitral échange des informations. Des formes de communication cryptées peuvent également être utilisées. Parfois, un défi se pose : l'architecture de sécurité des grands cabinets d'avocats dans lesquels travaillent les différents arbitres ne peut pas toujours être harmonisée. Cela concerne notamment le partage de fichiers, qui est souvent identifié comme un point faible de la sécurité informatique.

Les institutions arbitrales y répondent. Elles prévoient des plateformes qui permettent de télécharger rapidement et en toute sécurité des mémoires et des annexes. Ainsi, les pièces jointes volumineuses ne doivent plus être chargées, cryptées et envoyées sur des clés USB. Les plateformes permettent également d'attribuer des rôles à ses utilisateurs (par exemple arbitres, avocats, secrétaires du tribunal, collaborateurs de l'institution d'arbitrage), ce qui simplifie - outre le téléchargement crypté - le traitement des documents confidentiels dans les procédures de discovery. Lorsqu'un nouveau fichier est chargé sur la plateforme, les utilisateurs concernés sont informés en temps réel. De plus, le calendrier des procédures peut être tenu sur la plateforme, ce qui permet à tous les utilisateurs de voir d'un seul coup d'œil les délais actuels et les audiences prévues.

L’audience virtuelle

Les audiences, elles aussi, ne se passent plus sans outils électroniques. Depuis longtemps, les audiences virtuelles sont un moyen reconnu, leur conformité aux droits fondamentaux de procédure, parfois mise en doute, est désormais reconnue (cela a déjà été décidé par la Cour suprême autrichienne et est censé être intégré dans le droit de l’arbitrage allemand en cadre d'une réforme prévue, pour laquelle un document de référence a récemment été publié par le ministère fédéral de la Justice allemand). Même si l'audience se déroule en présentiel, la technologie de la visioconférence est utile. Si, par exemple, un témoin a un long trajet à faire mais un rôle très limité dans l'arbitrage, le tribunal arbitral peut facilement le faire intervenir par vidéo. Ceci peut également servir en cas de maladie de dernière minute d'un témoin (par exemple le Covid). Dans ce cas, le déroulement hybride de la procédure peut sauver l'audience. Des problèmes peuvent bien sûr survenir, par exemple lorsqu'un témoin joint par vidéo se fait souffler ses réponses par quelqu'un d'autre.

Outils pour trancher

Les tribunaux arbitraux recourent à la technologie également en dehors des questions d'organisation de la procédure. Cela concerne d'abord la technologie de tous les jours, comme les feuilles de calcul Excel, les programmes de gestion de la littérature pour les notes de bas de page et les scanners OCR pour permettre la recherche de mots clés dans le dossier. Mais il existe aussi des technologies spécialement conçues pour l'arbitrage.

On utilise par exemple des outils de visualisation qui permettent aux parties de présenter des faits complexes sous forme de mindmaps afin de les présenter au tribunal arbitral de manière compréhensible. Un logiciel de calcul du montant de la demande (quantum) peut également être utile au tribunal arbitral afin d'appréhender d'un seul coup d'œil les méthodes parfois très complexes de calcul des dommages-intérêts et de mesurer l'effet des différents paramètres de calcul sur le montant des dommages-intérêts. Il est également concevable d'intégrer l'intelligence artificielle, par exemple pour la recherche intelligente de mots-clés dans des documents ou pour la comparaison et l'évaluation automatisées d'images.

Prochaine étape : l'intelligence artificielle

L'intelligence artificielle fait également l'objet de débats, surtout en ce qui concerne l'arbitre « robot ». Dans l'idéal, les parties introduisent les données de leur litige dans un système informatique qui, sur la base des règles juridiques applicables, prend la bonne décision de manière autonome, sans l'intervention d'un arbitre humain. Cela peut encore sembler utopique pour des litiges complexes, mais compte tenu de la capacité de performance et d'apprentissage de l'intelligence artificielle, ce n'est plus une utopie. Quant à savoir si cela est souhaitable et conforme au droit (constitutionnel) en vigueur, c'est une autre question.

Lorsqu'une telle technologie sera prête, elle sera utilisée d'abord dans le cadre d’un arbitrage, avant que les tribunaux étatiques n'y aient recours. Grâce à la flexibilité de la procédure arbitrale, les tribunaux arbitraux ont toujours une longueur d'avance sur les tribunaux étatiques. Cela peut s'avérer être un grand avantage, comme l'a montré la pandémie de Covid-19.